Place de la Concorde 1908

Une place de la Concorde à Perpignan : ça en jette ! N’est-ce pas ?

Eh bien, elle a existé ! Eh oui !

Comment ! Vous ne le saviez pas ?

Elle a existé certes, mais... pas longtemps.

Pourtant, c’était bien parti : le 10 novembre 1908 le Conseil municipal de notre bonne ville de Perpignan, appelé à se prononcer sur les noms des nouvelles places publiques et des boulevards créés à la suite du développement exponentiel de la ville, avait entériné les propositions faites par la Commission des travaux publics (existant à l'époque).

C'st ainsi qu’étaient approuvées, entre autres, les dénominations :

- Place de La Concorde : la place créée à l'entrée de l'avenue de la Gare,

- Boulevard du Canigou : se dirigeant de la place de la Concorde vers le faubourg Notre Dame

- Place de la Pépinière : place créée devant le marché de Gros,

- Boulevard du Castillet : de la place de la pépinière au Castillet,

- Place Magenta : en souvenir de l'ancienne porte Magenta,

- Boulevard des platanes : le long de l'allée des Marronniers.

- Boulevard Jules Ferry : à hauteur de la route Lassus

Las !

Le 18 décembre de la même année, le Conseil municipal se réunit à nouveau et là :

Patatras !

M. Horace Chauvet au nom de ladite Commission des travaux publics dans un rapport (où apparaissent aussi le nom de nouvelles rues) explique que la décision votée le
10 novembre concernant le nom de place de la Concorde ne peut qu'être abandonnée.

Il soupire (NDR : du moins, je le suppose) :

« La dénomination "place de la Concorde" a été mal accueillie par le public comme trop prétentieuse. Il y aurait lieu de tenir compte des doléances qui nous sont parvenues et de donner à cette place le nom de "place de Catalogne". Les autres dénominations peuvent être confirmées.

Le Conseil approuve.

La séance est levée à 10H 3/4.»

Je n’ai pas trouvé dans les archives municipales ces doléances du public considérant que la dénomination était prétentieuse.

Par contre, le journal L’Indépendant qui paraît le lendemain, 20 décembre 1908, publie dans la rubrique « Choses perpignanaises » une communication au Directeur, sous la signature d’un (mystérieux) Ermite de Cabrens qui écrit de Paris (!), intitulée « Gardons-nous du ridicule », communication qui éclaire sans doute les débats tenus autour de cette appellation de discorde.

« Lorsque descendant de mon ermitage, je parcours les rues de notre capitale roussillonnaise, mes yeux de catalan se dolorisent à voir sur les pancartes des coins de rue les appellations glorieuses, certes, mais combien banales de Carnot, Louis Blanc, Zola République Quatre Septembre, Pasteur, etc. Pas un Paris, Lyon, Bordeaux, Asnières, Bécon-les-Bruyères, La Garenne-Bezom, Puteaux, qui n’ait glorifié ses rues, boulevards, ou impasses du nom de ces mêmes grands hommes ou symboles.

(…)

Aussi est-ce avec une joie sereine que j’ai lu dans L’Indépendant la liste des noms que que le Conseil municipal se proposait de donner aux nouveaux boulevards.

Deux cependant ont réfréné mon enthousiasme.

Que vient faire Jules Ferry d’illustre mémoire, sur le boulevard voisin de la route Lassus ? Il n’a jamais été jardinier de Saint Jacques, je suppose ! (…)

Ce qui « mastique une fissure » à ma robe de bure c’est le coup de la place de la Concorde! Non ! Ous qu’est l’obélisque ? Perpignanais, mes frères, ne soyez pas ridicules ! Il n’y a qu’une place de la Concorde au monde : elle est à Paris ! Elle ne sera jamais à Perpignan malgré vos plaques « moqueuses », ne provoquez pas le sourire de pitié de cet étranger que vous voulez attirer dans notre chère ville.

Qu’au contraire, en arrivant , dès le seuil de la cité qu’il va visiter, il trouve la place du Canigou qui, tout de suite, lui fera se demander ce qu’est le Canigou, s’il ne l’a pas aperçu en chemin de fer ; et on le lui montrera blanc et rose, là-bas, dans sa majesté, et il ne l’oubliera plus.

Qu’il trouve ensuite les boulevards ou rues du Conflent, de Cerdagne, du Vallespir, des Albères, des Corbières, de Font-Romeu, de Lanous, de Costabona, de Carlit, de Galamus, des Bouillouses, etc. et il apprendra que ce sont autant de pays ou de sites à visiter ; ceux de Banyuls , de Rivesaltes, et il se rappellera qu’il existe des vins fameux dont il n’a jamais
peut-être goûté ; ceux de
Verdaguer, Balaguer, Pépratx, Puiggary et tutti quanti, et il apprendra que le catalan n’est pas un patois mais une langue avec sa littérature ses poètes et ses grammairiens ;

(…)

De grâce, gardons-nous du ridicule, de la banalité, du « quelconquisme » ! Soyons « locaux », personnels, originaux, dans le bon sens de ces termes.

Puisqu’il nous est donné d’être un des coins les plus intéressants, les plus favorisés de notre chère France, montrons avec orgueil la couleur éclatante de notre pays au lieu de la confondre dans l’uniformité grise de tous ceux qui n’ont aucun caractère ou qui ne savent pas s’en servir.

C’est là de l’excellente et loyale réclame pour la mise en valeur de notre département, et nos arrière petits-neveux nous en auront peut-être quelque reconnaissance.

Toutes mes excuses d’intervenir dans un débat municipal. Mais il m’a semblé qu’il y avait une voix à indiquer.

Je regagne mon ermitage, non sans avoir imploré pour nos édiles et pour vous-même, mon cher directeur, les lumières et les Grâces du Génie Catalan.

Bon ! Ce ne fut pas la place du Canigou. Mais on n’est pas loin.

L’histoire ne dit pas s’il y a eu des défenseurs de l’appellation éphémère et donc une éventuelle division du public sur ce point précis. Or, c’est bien connu : les divisions constituent souvent une impasse : c’est d’ailleurs ce que semble rappeler la dénomination donnée à une ruelle du centre-ville donnant sur la place Jean Jaurès. Mais, nous indique Christian Camps dans son livre « Perpignan d’hier à aujourd’hui », l’impasse de la Division doit son nom depuis 1848 uniquement à l’installation de la Division militaire dans le secteur. Dont acte.

Place de la Concorde, du Canigou, de Catalogne ? Que pensez-vous de cette polémique, vous, arrière (-arrière) petits-neveux et arrière (-arrière) petites-nièces de l’Ermite de Cabrens ?

En attendant, fini à Perpignan la place de la Concorde, dénomination qui ne le sera restée qu’un peu plus de deux mois, du 10 novembre au 18 décembre 1908 !

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